La pensée néolibérale, la vie sans parachute, n'en finira décidément jamais de pousser la raison dans ses derniers retranchements. Comme preuve, j'entends soumettre à l'examen du bon sens les récentes déclarations du ministre-candidat N. Sarkozy appelant de ses voeux les ménages français à consommer « révolving »(1) convaincu « qu'une société qui emprunte est une société qui croit en l'avenir».(2) N. Sarkozy serait bien en peine d'expliquer clairement pourquoi ce qui demeure hérétique pour le budget de l'état (le surendettement) ne l'est pas pour celui des ménages. Car enfin il y a autant d'inconscience que de pure idéologie à glorifier ainsi le crédit, alors qu'en l'état de l'économie des puissances occidentales, l'endettement des ménages atteint des sommets himalayens.Chaque année, shotés à l'oniomanie, les Étasuniens dépensent 700 milliards de dollars de plus qu'ils ne produisent. Aux USA, le taux d'endettement des ménages atteint 120% du revenu disponible annuel (3). Parmi les Roger-Bontemps du millénaire, les Anglais méritent, sans conteste, la Palme d'or. En Grande-Bretagne, tenez-vous bien, la dette des ménages s'élève à 1 900 milliards d'euros. Elle gonfle de 1,5 millions d'euros toutes les 4 minutes ! En moyenne, chaque foyer du Royaume-Uni est débiteur de 66 000 euros auprès de divers préteurs. Le découvert moyen de chaque adulte atteint plus de 6 000 euros (+2 .700 E en 5 ans), et chaque ménage paie l'équivalent de 20 % de ses revenus uniquement en charges financières. En l'état actuel de l'endettement des particuliers, si l'Anglais moyen cessait d'emprunter, il ne lui resterait pour vivre que 170 euros une fois honorées ses échéances financières.(4) Richesse de façade, économie virtuelle, les magasins débordent de propositions de prêt, même les adolescents n'appréhendent plus de vivre à crédit considérant le «shopping» comme le loisir le plus important. Cette grande bouffe collectiviste engloutit, chaque année, 70.000 familles que la banqueroute digère sans causer la moindre aigreur d'estomac au marché, sans interpeller les pouvoirs publics indifférents devant l'accroissement spectaculaire des procédures de faillites personnelles. A ce drame s'ajoute les 8 millions de crève-la-faim britanniques exclus du secteurs bancaire, ces moutons tondus par les « loan sharks » qui leur consentent des prêts au taux de 30 à 35 % d'intérêt dans la plus parfaite légalité. Dans cette ripaille insatiable, n'omettons pas d'évoquer, enfin, le sort des millions de propriétaires couverts de dettes arrimés à la bulle immobilière, euphoriques comme le petit Jack l'était en grimpant sur son haricot magique.
Champion incontesté du surendettement, le consommateur anglais n'est, toutefois, pas seul à souffrir de cette pandémie moderne. La frénésie de consommation touche, avec plus ou moins d'intensité, tous les pays occidentaux y compris la France. Mais c'est l'endettement immobilier qui grève lourdement le budget des ménages européens, surtout britanniques (67 % des Britanniques sont « propriétaires » de leur logement contre 55 % des Français). Abandonnés par un système de retraite publique misérable (env. 120 euros mensuels par personne), dissuadés par les prix exorbitants des loyers, les ménages anglais n'ont d'autres choix que de se tourner vers l'accession à la propriété au prix d'un endettement pantagruélique qu'ils espèrent juguler en spéculant sur l'immobilier. Ils alimentent ainsi un marché en progression de 90% sur la décennie qui les appauvrit en créant l'illusion de la richesse.
En France, la situation est inquiétante sans atteindre les seuils hystériques de nos voisins européens. D'après L'Observatoire de l'endettement des ménages , jusqu'à présent , « les ménages ont fait preuve d'une relative rationalité en matière d'endettement en évaluant leur situation de façon cohérente avant de recourir au crédit ».(5) Avec un taux d'endettement de 62 % à 64% du revenu disponible selon les sources,(6) les Français restent, pour le moment, les européens les moins endettés. A 30% en deçà du taux moyen d'endettement des ménages européens, l'on comprend que les préteurs se lèchent les babines entendant N. Sarkozy vanter sur TF1 les mérites du « revolving ». En réalité, le taux d'endettement des ménages français croît plus vite qu'ailleurs depuis 2005. Après avoir progressé de 9,9% en 2004, il a progressé de 10,5% en 2005 portant la dette des ménages français au niveau le plus élevé jamais observé en France. Aucun libéral le compare à celui de la dette publique (env. 65% du PIB) alors qu'il y aurait tant à dire.(7) Comme pratiquement partout dans l'UE, les crédits immobiliers représentent 70 % des crédits des ménages, mais tous les types de crédits sont en progression.(8). La Banque de France s'en est faussement inquiétée en relevant l'accroissement de la dette des ménages français et le rallongement de la durée des prêts consentis par les institutions bancaires.(9). Depuis quelques mois, d'ailleurs, des crédits sur cinquante ans sont distribués sur le marché français (10).
Décomplexés, N. Sakozy et son armée d'économistes fanatisés par le libre-échange présentent le surendettement des ménages, notamment des ménages anglais, comme le signe d'une économie florissante! Or, un instant de raison suffit pour juger les contradictions de cette politique suicidaire qui fustige l'accroissement de la dette publique tout en valorisant celle des particuliers. Quant on pense que les dépenses des ménages sont suivies avec une grande attention par les économistes car elles constituent le principal moteur de la croissance, (11) l'on ne peut que déplorer l'hérésie sociétale d'un système affligeant dans lequel la croissance est alimentée en grande partie par la consommation des ménages, tandis que la consommation des ménages est alimentée par un surendettement criminel au mépris des fondements d'une économie de bon sens. L'on constate, aussi, que le libre-échange tend à transférer la dette de l'Etat dans le patrimoine du citoyen sans pour autant diminuer la dette publique.
Comment peut-on espérer qu'un tel mécanisme puisse perdurer sans crise majeure ? Car il faudra, tôt ou tard, que les emprunteurs honorent leurs engagements et avec intérêts qui plus est ! Quand les préteurs décideront de convertir leur risque en monnaies sonnantes et trébuchantes, les fricasseurs d'héritages n'auront pas fini de se faire et de passer des cheveux et des nuits blanches. Déjà des signes tangibles apparaissent partout dans le monde. Rares sont les économistes convaincus par le scénario catastrophe. Tout juste est-il question d'une simple correction du marché pour 2007, mais déjà, les plus opportunistes commencent à retirer leurs billes du jeu. En Espagne, l'on brade à tout va.(13). Les millions de propriétaires condamnés à l'endettement à perpétuité qui espéraient financer leur retraite grâce à la plus value de leur bien immobilier pourraient vite déchanter. Certes, la plupart complètement ruiné, sera dispensée du paiement des intérêts restant à courir. Il est fort possible que, dans leur magnanimité légendaire, les banques abandonnent leurs créances dans les dossiers les plus dramatiques. Mais tous, sans exception, seront dépossédés de leurs actifs, ironiquement ruinés de ce qu'ils n'auraient eu, de toutes façons, aucune chance de posséder un jour, mais pour lequel ils auront raqués et trimés pendant des décennies.
En conclusion, j'aimerais apporter ma pierre à la réflexion. Si, comme l'indique justement N. Sarkozy, celui qui décide de contracter un prêt est capable de se projeter dans l'avenir, le surendettement, en revanche, est le comportement d'un consommateur incapable de conceptualiser son propre avenir en choisissant lâchement de l'ignorer plutôt que d'y faire face. Le surendettement constitue, ainsi, la forme aboutie d'abnégation de l'intérêt personnel le plus primaire. Or, le surendettement semble constituer ce nouveau mécanisme de vie des individus et d'organisation de nos sociétés où le concept de précarité accède librement à sa dimension réelle. La précarité, nous y voilà, cette condition primitive de l'homme que les néolibéraux espère élever en mode idéal d'existence, et que N. Sarkozy considère logiquement comme la seule révolution permanente. La précarité et le surendettement qui la nourrit deviendraient alors, un mode de domination d'un type nouveau, fondé sur l'institution d'un état généralisé et permanent d'insécurité visant à contraindre les individus à la soumission, à l'acceptation de l'exploitation dans lequel ceux qui refuseraient de suivre ou, pire encore, ceux qui ne le pourraient pas, seraient alors laissés pour compte dans l'indifférence et la non-culpabilité généralisée. Ainsi, la Second-life promises par N. Sarkozy dans ses prêches charismatiques se résumeraient pitoyablement en une négociation de concession ou une clochardisation de la rébellion pour la plupart des individus ....